Chaînes signifiantes de l'Amérique (pré)hispanique

La question de la re-définition nécessaire d’une (de la) cartographie pour certaines aires culturelles telle que la Mésoamérique est posée. Ce terme (concept) inventé par Paul Kirchhoff1 doit continuer à être amendé. Les travaux d'Alfredo López Austin et Leonardo López Luján2, ou ceux de Hays-Gilpin, Taube, et Schaafsma3 y contribuent. Ils nous donnent une nouvelle vision globale et panoramique du passé indigène préhispanique mésoaméricain, et repoussent les limites « géographiques » dessinées par Kirchhoff au siècle passé. Ceci doit à terme déboucher sur une réflexion sur une nouvelle cartographie culturelle de l’Amérique hispanique et préhispanique, voire de l’Amérique en général.

Une question cruciale, intimement liée à la précédente est celle de l'historicité du passé indigène posée par Szeminski4 par exemple, dans une critique de l'approche occidentale de l’Histoire des Incas et une proposition de réinterprétation. Ceci s'appliquerait à d'autres cultures. En un mot, le monde amérindien aurait- il attendu l'arrivée des Européens pour entrer dans l'Histoire. Pour François Hartog5, chaque société, chaque culture a sa propre Histoire, ses propres temporalités, ses propres régimes d’historicités.

Ces chaînes signifiantes dont les premiers maillons se forgent dans la nuit des temps amérindiens soulèvent des questions en chaîne sur la notion de patrimoine, d’héritages, de continuum, survivances, syncrétismes, identités, constructions identitaires. Les notions de branchements, ou encore de « logiques métisses », inventées par Amselle, pourront être d’une grande utilité à cet égard. Elles invitent à reconsidérer la façon dont on analyse le devenir des groupes indigènes entrés en contact avec la civilisation occidentale. Plutôt que de voir l’étape historique de la conquête et colonisation seulement comme un épisode de destruction, Amselle nous invite à appréhender les cultures comme « le produit d’un branchement, d’une dérivation opérée à partir d’un réseau de signifiants plus large qu’elle »6. Ainsi, il est fondamental de ne pas négliger les « métissages antérieurs »7 à la conquête. Ces notions nous serviront à re-penser les phénomènes de définition et auto-définitions identitaires des groupes sociaux de la société coloniale américaine. Il s’agira de tenter de reconstituer l’image des différents groupes sociaux de l’Amérique espagnole, en partant des discours des intéressés et en mettant l’accent sur la « plasticité » des cultures et des identités8.

 

1 Paul Kirchhoff, « Mesoamérica ». Acta americana I, 1943 ; ibid. “Mesoamérica. Sus límites geográficos, composición étnica y carácteres culturales”, México, Suplemento de la revista Tlatoani, 1960.

2 Alfredo López-Austin, Tamoanchan y Tlalocan, FCE, 1994 ; López-Austin y Leonardo López Luján, El pasado indígena. México, FCE, 1996.

3 Kelley A Hays-Gilpin et Polly Schaafsma (éd.) Painting the Cosmos: Metaphor and Worldview in Images from the Southwest Pueblos and Mexico. Museum of Northern Arizona, 2010.

4 Jan Szeminski, « Cómo el pensamiento de los investigadores modernos les impide entender las imágenes indígenas del pasado [caso del Imperio Inca, siglos II-XVIII] », Actas del 50 Congreso internacional de americanistas, Varsovia, 2000.

5 François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, 2003.

6 Jean-Loup Amselle, Logiques métisses: anthropologie de l’identité en Afrique et ailleurs, Paris, Payot, 2010, p. 15.

7 Id., p. 26.

8 Id., p. 20.